Jacques Vapillon ®
Il y a de la sécession dans l'air sur l'Istanbul Europa Race et les équipages ont choisi la Mer Tyrrhénienne pour champ de bataille. Une petite zone sans vent s'est en effet invitée sur la route des six concurrents, obligeant chacun à en tirer les conclusions s'imposant pour la contourner. La nuit dernière, Foncia a donc décidé de profiter du moment où tous les monocoques sont gris et les positions passées sous silence pour mettre de l'Ouest dans sa route. Pointés comme les plus rapides de la flotte au dernier classement, Michel Desjoyeaux et ses équipiers sont actuellement en mesure de se réjouir, mais l'avenir proche leur confirmera ou non le bien fondé de leur initiative. Positionné le long des côtes sardes, les hommes de Foncia ont manifestement décidé de sortir du rang pour échapper aux caprices du vent. Un peu plus à l'Est, Jean-Pierre Dick est lui aussi prêt pour l'assaut final vers ses terres, traquant la moindre risée pour faire la différence et gardant toute sa fraîcheur pour hisser Paprec Virbac 2 au plus haut du classement à Nice. Se rejoignant dans une trajectoire très proche à l'Est, 1876 et Groupe Bel, distants d'un mille, font actuellement le choix de composer avec l'instabilité du vent entre la Sardaigne et l'Italie, mais d'éviter les risques d'une exposition à des vents violents.
Crédité d'une vitesse largement supérieure à une partie de sa concurrence directe, Foncia parait pour le moment particulièrement bien destiné aux lauriers, mais il faudra au moins attendre le passage du Cap Corse et surveiller d'un œil très attentif la progression de Paprec Virbac 2 pour envisager une esquisse de tableau final.
Derrière la lutte continue
Avec plus de cent milles se retard sur la flotte et englués le long des côtes siciliennes, Veolia Environnement et DNCS sont pour l'heure en marge de la lutte pour la victoire. Mais dans une course se jouant aux points rien n'est bien évidemment perdu pour la suite des évènements sur cette Istanbul Europa Race. Reste que derrière, il faut garder sa motivation et poursuivre la bagarre, même si depuis le début les riches s'enrichissent et que c'est invariablement par devant que la situation se débloque. Qu'à cela ne tienne, à bord du monocoque de Roland Jourdain, on observe la route des premiers, on tente d'anticiper pour la suite et surtout on ne lâche rien. Même son de cloche chez Marc Thiercelin qui n'est pas homme à baisser les bras et qui n'oublie pas l'essence même de son projet ; la transmission du savoir par l'intermédiaire des « Filières du Talent ». Pièce maîtresse de l'équipage de DCNS, Christopher Pratt, successeur de Thiercelin à la barre et co-skipper sur la Transat Jacques Vabre, poursuit ainsi sa formation grandeur nature. Au large de la Sardaigne, l'échange des savoirs reste une valeur forte.
Les équipages vivent actuellement leurs dernières heures de course dans cette étape entre Istanbul et Nice. Les premiers sont attendus demain samedi à partir de midi... pourvu qu'Eole les accompagne jusqu'au bout !
Ils ont dit :
Kito de Pavant – Groupe Bel :
« Décidément la course jusqu'à Nice reste pleine d'aléas, ce n'est pas commode ! Le vent commence à mollir un peu, nous nous rapprochons d'une zone de transition que traversent en ce moment les Espagnols : ils affichent une plus petite vitesse au dernier pointage. Mais nous sommes contents puisque ce matin, après avoir fait grise mine quand nous avons mesuré ce que nous avons perdu hier en restant collés à la pointe occidentale de la Sicile, nous avons tenu, dans un bon angle de vent, une belle vitesse d'une quinzaine de nœuds. Nous avons réduit l'écart avec 1876 de 30 milles et bien progressé sur la route directe, qui me semble a priori la plus courte pour rejoindre Nice. L'option de Foncia à l'ouest ? Je ne sais pas trop : ils espèrent toucher du thermique près des côtes, mais en Sardaigne cette brise ne se lève que quelques heures. Ils risquent de souffrir au début et peuvent revenir ensuite. Quoi qu'il en soit, même si le vent est particulièrement instable entre la Sardaigne et la péninsule italienne, je préfère être là, plutôt que prendre le risque d'affronter le gros mistral qui souffle dans l'ouest de la Corse. Dès ce soir, nous risquons de toucher pas mal d'air, même à 90-100 milles des bouches de Bonifacio... »
Michel Desjoyeaux – Foncia :
« Nous avons toujours une petite vitesse dans des tout petits airs et ce n'est pas facile de faire progresser Foncia là-dedans. Nous nous sommes effectivement positionnés plus dans l'ouest, à l'inverse de nos concurrents les plus proches. Nous avons senti qu'il y avait une opportunité et surtout, compte tenu de notre décalage par rapport 1876, cela nous semblait difficile de suivre la même trajectoire. On y verra plus clair au cap Corse. Depuis quelques jours, quand les classements tombent, on a un peu l'impression d'avoir les résultats du tiercé ! Tout va bien à bord, nous ne manquons ni d'eau, ni de nourriture. En revanche, si vous avez quelques kilos de vent à la carte ou au menu, nous sommes preneurs ! Ces conditions sont néanmoins favorables pour rester bien à l'écoute du bateau : nous avons un peu de matelotage, un peu de couture à faire. Rien de grave, mais on répare en temps réel. Avec Jérémie Beyou, on discute et on échange aussi beaucoup en vue de la Transat Jacques Vabre. Bon allez, je vous laisse, nous avons un peu de tourisme à faire au large de la Sardaigne ! »
Jean-Pierre Dick – Paprec Virbac 2 :
« L'issue de cette première étape à Nice reste pour le moins incertaine. Le choix des options n'est vraiment pas facile à faire : il n'y en a aucune gagnante à coup sûr. Nous ne sommes qu'au début de grand tour de l'Europe et cela s'annonce passionnant ! Comme le veut le dicton, chaque jour suffit sa peine : sur une telle épreuve, sur chaque étape il faut jouer la gagne. Nous progressons sur une zone de la Méditerranée très particulière, avec des bouffes de vent très soudaines. Hier, nous avons vu quelques dauphins et surtout une jolie baleine, ou plutôt un énorme cétacé bien vivace. C'était un spectacle très impressionnant... Nous sommes aussi passés un peu trop près d'une île qui nous a un peu ralentis. C'est toujours la guerre des risées, et on a vu la dextérité de 1876 qui a fait une très belle navigation... »
Gildas Morvan – Veolia Environnement
« On vient de redémarrer enfin pour repasser la dernière pointe de la Sicile ! Cette nuit nous avons eu des vents assez faibles. Nous étions bien revenus hier sur les premiers, mais ils sont repartis avec du vent. Nous allons bien sûr rester attentifs à leur progression sur des routes différentes : cela peut nous permettre de voir quel sera le meilleur passage. Près des côtes, il nous faut aussi rester très vigilants : il y a beaucoup de bateaux de pêche, quelques cargos. Ce matin, nous avons dû plonger pour libérer la quille d'un filin de 25 mètres. Mais le moral tient bon, et on ne va certainement rien lâcher avant l'arrivée : il reste encore la Sardaigne et la Corse. Et tant que la ligne n'est pas franchie... »
Marc Thiercelin – DCNS
« Nous avons eu des vents faibles toute la nuit et pile dans l'axe de la route. Cela commence à devenir pénible : cela dure depuis le début de la Sicile ! Si c'est toujours frustrant d'être le dernier, le moral tient bon. On continue de manœuvrer, d'équilibrer le bateau et surtout de barrer, barrer et encore barrer ! Sur ce parcours complexe, nous nous focalisons sur notre objectif : il s'agit de transmettre le plus possible à Christopher Pratt afin qu'il soit mon alter ego lors de la prochaine transat Jacques Vabre... »