Jacques Vapillon ®
La prise de commandement de l'équipage espagnol de Guillermo Altadill (1876), la nuit dernière, est donc venue donner raison aux partisans de la voie sudiste. Mais alors que la Sicile sera dans leur sillage dans quelques heures, les assauts de la concurrence vont naturellement continuer à pleuvoir de toutes parts. Jusqu'au bout, les marins vont faire le spectacle.
Doucement mais sûrement, la flotte de l'Istanbul Europa Race poursuit sa progression méditerranéenne, s'extirpant dans les petits airs du détroit de la Sicile, situé entre l'île du même nom et la Tunisie. Si la bulle anticyclonique n'est pas encore un lointain souvenir, sa négociation a laissé quelques traces et sensiblement bouleversé la fragile hiérarchie en place.
Ainsi, Guillermo Altadill et ses hommes sont-ils venus confirmer leur très beau début de course et leur inspiration stratégique en s'emparant du leadership la nuit dernière, à la faveur d'une option sudiste engagée il y a deux jours. Heureux de sa nuit, le skipper de 1876, ne boudait pas son plaisir d'avoir pu repasser et distancer certains de ses concurrents directs tout en gardant à l'esprit qu'un retournement de situation est toujours à prévoir.
Derrière, Michel Desjoyeaux et ses hommes se maintiennent également aux avant-postes de cette première étape profitant de l'instant présent et du plaisir de grappiller les milles. Rejoint par Groupe Bel, ce triumvirat affiche une belle forme à moins de 550 milles de Nice.
Après une trajectoire relativement isolée depuis les eaux grecques, Kito de Pavant n'a sans doute pas touché les dividendes escomptés mais, comme le confirmait son navigateur Sébastien Audigane ce midi, leur positionnement devrait d'ici peu les favoriser nettement pour attaquer la remontée vers Nice avec un meilleur angle au vent.
Ayant opéré un contournement en grand de la bulle, Jean-Pierre Dick est rentré dans le rang au large de la Sicile. Recalé derrière ses concurrents, l'enfant du pays sait mieux que quiconque que la route est encore longue avant de saluer son berceau. Enfin, passant au plus près des côtes siciliennes et profitant non sans humour du paysage, Veolia Environnement et DCNS affichent à l'heure actuelle la satisfaction d'avancer plus vite que leurs petits camarades ; de quoi leur redonner le sourire à défaut de gommer totalement leur retard.
Pour tous, un vent de Sud Ouest soufflant 10 à 15 nœuds devrait venir rythmer la nuit et leur permettre de passer à la vitesse supérieure... mais pour combien de temps ?
Plaisir et partage
Si cette première étape de l'Istanbul Europa Race semble vouloir jouer les prolongations et annoncer une arrivée des six monocoques Imoca entre samedi et dimanche à Nice, au sein des équipages, point de lassitude ! Les vacations se suivent et confirment une bonne humeur et une belle entente généralisée. Si les conditions de navigation et surtout le décor de ce parcours incroyable entre Istanbul et la Côte d'Azur jouent forcément dans cet état de béatitude générale, il faut également rappeler que l'exercice de l'équipage est suffisamment rare chez les skippers concernés pour qu'il soit apprécié à sa juste valeur.
La présence de leurs équipes techniques, de leurs futurs co-skippers sur la Transat Jacques Vabre, de leurs successeurs ou de marins respectés ajoute au plaisir de partager un moment unique. Chacun semble avoir trouvé son rythme, limitant la fatigue des uns et des autres, et la répartition des tâches se fait naturellement. Entre belle ambiance à bord et bagarre de chiffonniers sur l'eau, l'Istanbul Europa Race est décidément un grand rendez-vous de l'échange...
Ils ont dit :
Sébastien Audigane – Groupe Bel :
« Groupe Bel procure des sensations proches de celles du multicoque. C'est un bateau énormément toilé et assez léger, c'est donc une belle machine à faire du vent apparent : au moindre souffle d'air, il accélère très vite. Il a aussi une caractéristique qui le distingue des autres 60 pieds Open, il est étonnement très fin à la barre, parfois même un peu trop ! C'est un vrai plaisir de disputer cette course avec Kito et son équipe technique, qui connaît le bateau par cœur. Cette nuit, 1876 et Foncia nous ont doublé : ils ont profité d'un peu plus de pression pour progresser un peu plus vite. Mais le vent va adonner aujourd'hui et à mesure qu'il va tourner au sud-ouest, on va pouvoir profiter d'un meilleur angle de vent. On espère donc pouvoir reprendre quelques milles, et que Paprec-Virbac 2 n'accélère pas trop non plus... »
Guillermo Altadill – 1876 :
« Nous naviguons toujours dans peu de vent, mais cette nuit nous avons fait les bons choix. Nous avons donc pu passer Groupe Bel et prendre des milles sur Foncia. En fait, nous avons suivi une option plus au sud pour éviter une zone de très petits airs qu'ont traversé Kito de Pavant et son équipage plus au nord. Nous avons bien suivi les évolutions du vent et nous avons empanné avant Foncia. Ces dernières 24 heures ont donc été fructueuses et nous sommes très satisfaits des performances du bateau, l'ancien de Loïck Peyron. Lors des cinq derniers mois, nous avons beaucoup travaillé pour l'optimiser. Nous n'avons pas encore beaucoup d'expérience en matière de 60 pieds Open, mais nous avons mis à profit celle que nous avons dans le domaine des Volvo 70 pour la conception des voiles notamment.
Après une première journée un peu difficile dans le détroit des Dardanelles où nous avons fait, je crois, pas moins de 25 empannages, nous avons bien trouvé notre rythme à bord. Il y a le navigateur d'un côté et deux quarts de deux de l'autre. J'espère que nous pourrons conserver notre avance sur les prochaines 24 heures, mais ensuite, il se pourrait bien au regard des évolutions météo que la flotte se regroupe et que les bateaux de derrière reviennent sur les premiers. »
Michel Desjoyeaux – Foncia :
« Pour l'heure, nous avançons encore correctement et c'est plutôt satisfaisant. Nous faisons partie d'un petit tir groupé de trois bateaux qui progressent vers la Sicile. Toute la journée d'hier, nous étions bord à bord avec 1876 et on voit à présent Groupe Bel qui revient bien dans le match sur une option radicalement différente, On a même eu peur un moment qu'il ne s'échappe. Ca se bagarre bien, c'est top ! Qu'il y ait des écarts si faibles au cinquième jour de course, cela laisse penser que ce genre de situation risque de se répéter plusieurs fois jusqu'à Nice et qu'il reste encore de nombreux coups à jouer. Aucun n'est à l'abri d'un coup de Trafalgar d'un autre et pour toute la flotte ça peut passer, ou ne pas passer, à pas grand chose. A bord, nous avons un fonctionnement assez souple, c'est plutôt bon enfant. Il fait très chaud, la température de l'eau est montée hier jusqu'à 33°, mais il fait très humide : cela évite que l'on se déshydrate trop. Mais même en bons bretons, on s'accommode bien de la chaleur et d'ailleurs on s'est aménagé un petit espace détente sur la plage avant à l'ombre du spi ou autres voiles... Aujourd'hui, nous allons faire un atelier grand carénage et sans doute un brin de ménage ! »
Jean-Pierre Dick – Paprec Virbac 2 :
« Nous avons tenté le coup de la cuillère : nous avons donc fait beaucoup de milles en plus depuis la Grèce dans l'idée de toucher plus de pression sous l'anticyclone qui nous barrait la route. Mais, nous n'avons pas touché autant de vent qu'escompté, nous nous sommes donc recalés derrière 1876 et Foncia. Cela s'est joué à pas grand chose et je sais que le jeu reste grand ouvert jusqu'à Nice. En local de l'étape, je vais mettre toute mon énergie pour faire une belle arrivée. Je suis très fier que la course arrive chez moi : cela n'arrive pas tous les jours alors j'espère bien fêter ça comme il se doit. Tout va bien à bord de Paprec-Virbac 2. Les conditions que nous avons sont favorables à la récupération. Mer plate, petit filet d'air et léger bruissement de l'écoulement de l'eau sur la coque : c'est un vrai bonheur de disputer cette première étape sur une grande traversée de la Méditerranée... »
Roland Jourdain – Veolia Environnement :
« Nous avons touché un peu de vent et, pour être sincère, nous bénissons cet instant ! Nous avons viré tout près de la côte de la Sicile. Nous faisons un peu de tourisme, ce n'est pas désagréable et surtout très joli ici ! Plus sérieusement, à présent que nous sommes sur cette route, on exploite au mieux les conditions que l'on a. Au ras des côtes, on peut en effet bénéficier d'un peu de vent thermique : d'ailleurs, en ce moment, nous avons un peu plus d'air que celui indiqué sur les fichiers. Maintenant qu'on y est, on y croit !»
Marc Thiercelin – DCNS :
« La route la plus courte ne s'est pas révélée la plus chanceuse : les grands calmes que nous avons traversé nous relèguent donc un peu en arrière. C'est dommage, mais nous sommes dessus à fond, nous n'avons jamais arrêté de matosser et de régler le bateau. Christopher travaille bien. Il a notamment la charge de la plage avant. Il change les voiles, et il va, d'ici Brest, passer toute la garde-robe en revue : code 0, gennaker, génois, reacher, trinquette, et spis bien sûr ! Nous sommes en vraie période d'étalonnage et j'espère que nous pourrons bientôt batailler en tête ou dans le paquet pour bien mesurer le potentiel de DCNS dans un objectif d'optimisation et en tirer des enseignements. D'ici Nice, il reste bien sûr des coups à jouer. En tout cas, l'équipe reste très soudée et elle est en pleine forme. Malgré la pétole qui nous oblige à garder l'esprit bien tendu sur la vitesse et les réglages, tout le monde récupère plutôt bien. »