Jacques Vapillon ®
La chaleur règne à bord des monocoques Imoca et pas seulement parce que la Grande Bleue offre aux marins un tableau classique de fin d'été. Qu'on ne s'y trompe pas, si la tempête est loin d'être dans le prolongement de la botte italienne, elle est bien présente sous les crânes des stratèges.
Nouvel écueil à éviter sur leur longue route entre Istanbul et Nice, la bulle anticyclonique était dans toutes les bouches à l'occasion de la vacation du jour. Sur la manière de lui échapper les avis ont divergé ces dernières heures et en la matière chacun s'attachait ce midi à défendre ses choix. Ainsi, celui qui retrouvait la nuit dernière sa place de leader, Kito de Pavant, avouait-il se satisfaire de la négociation du phénomène en ayant opté pour la voie du « tout droit ».
Devançant à présent la concurrence de 16 milles, le méditerranéen ne boudait pas les effets d'un positionnement un peu plus nord que ses adversaires directs. Du côté de ces derniers aussi les motifs de satisfaction étaient palpables.
Se livrant un duel à vue, Guillermo Altadill (1876) et Michel Desjoyeaux (Foncia) appréciaient la proximité et y trouvaient une belle source de stimulation ; ces deux derniers ayant rejoint le niçois Jean-Pierre Dick dans son option sudiste. En quête de pression, le local de l'étape, par la voix de son acolyte Damian Foxall, ne cachait rien de sa satisfaction quant à l'inspiration africaine et confiait commencer à en toucher quelques dividendes.
Enfin, pour la queue de la flotte aussi cette veille de rentrée des classes livrait quelques bonnes nouvelles, à commencer par une nette réduction du retard sur les premiers. Avec seulement 50 et 58 milles de plus à parcourir, contre 130 et 134 il y a 24 heures, l'addition commence à perdre en sel pour Roland Jourdain et Marc Thiercelin. De quoi apporter un peu de douceur aux hommes et redonner définitivement aux marins des raisons d'espérer.
Boire, manger, dormir...
Les prochaines heures vont donc livrer un premier verdict, celui du contournement de la bulle. Les classements à venir devraient nous renseigner un peu sur la tendance et le passage à la pointe ouest de la Sicile sera un premier baromètre de la réussite.
Mais gardons nous bien d'en tirer de trop hâtives conclusions tant la Méditerranée habitue ses amoureux aux surprises. Tous ses prétendants le rappelaient ce midi, il faudra attendre l'arrivée dans la baie des Anges pour savoir qui décrochera l'auréole...
En attendant, des vents plus favorables en force devraient accompagner les concurrents de l'Istanbul Europa Race et leur permettre d'y voir un peu plus clair. Après quatre jours de course, les organismes et les montures peuvent commencer à sentir les effets d'une navigation qui si elle n'est pas musclée, n'en est pas moins usante. A bord on s'organise, on récupère comme on peut par cette chaleur à laquelle il faut s'habituer et on tente de garder hydratation et alimentation comme faisant partie de la liste des priorités.
Sur ce point, les hommes de Groupe Bel avouaient avoir eu quelques inquiétudes suite à la panne du déssallinisateur leur permettant de produire leur eau douce. Une nuit dans le ventre de la machine lui aura rendu sa fonction ce matin.
Sur Veolia Environnement, si le liquide n'est pas un problème, il n'en va a priori pas de même pour le solide, les vivres commençant à manquer et une certaine forme de rationnement s'organisant. Si cette première étape devait jouer les prolongations, Bilou et ses hommes pourraient donc arriver plus qu'affamés à Nice. Pour la course et pour les estomacs, chacun se prend aujourd'hui à invoquer Eole...
Ils ont dit :
Kito de Pavant – Groupe Bel :
« Cette nuit, nous avons été aux aguets. Le vent était encore très instable et il n'y avait pas beaucoup d'air. Dans ces conditions, c'est toujours plus tendu à bord, il faut sans cesse vérifier les réglages et s'appliquer à la barre. En revanche, hier nous avons pu bien progresser, au reaching, nous avons même mis le pilote pour nous reposer. Nous sommes sur une route un peu plus nord. A dire vrai, quand nous avons quitté les eaux grecques, les fichiers météo misaient plutôt sur une option sud, mais les suivants révélaient surtout que la bulle anticyclonique que nous avions à contourner prenait plutôt la forme d'une grande barrière entre la Sicile et la Libye. J'ai estimé qu'il était préférable d'aller tout droit. Le faut d'être Méditerranéen me donne peut-être un petit avantage : je connais certains coups et beaucoup de ceux que nous avons tentés en mer Egée, nous les avons faits à partir des observations que j'ai pu faire auparavant. Mais, je sais aussi combien la Méditerranée est capricieuse et j'ai appris à me méfier comme de la peste. C'est à la fois le terrain de jeu que je préfère et celui que je déteste le plus ! »
Guillermo Altadill – 1876
« Nous sommes toujours dans des conditions de vent très faibles. Nous avons passé toute la nuit en duel avec Foncia. D'être bord à bord, cela nous motive pour pousser le bateau à 100% de son potentiel et de trouver les bons réglages pour avoir la meilleure vitesse possible. La course est passionnante et c'est une vraie satisfaction de découvrir le bateau, l'ancien Gitana de Loïck Peyron, dans ces conditions de régate au contact. A bord, entre les Espagnols Antoine Mermot, de l'équipe de Gitana, et notre équipier néerlandais, nous avons développé un nouveau langage : une combinaison d'espagnol, de français et d'anglais. Cela fonctionne très bien ! Je ne perds pas de vue Groupe Bel, qui progresse plus au Nord et qui peut-être sur la meilleure route pour trouver la porte de sortie de la bulle anticyclonique. Plus au Sud, Paprec-Virbac 2 revient actuellement dans le classement. Il a dû toucher un peu plus de pression, mais je ne suis pas sûr qu'il puisse compenser la route supplémentaire parcourue... »
Michel Desjoyeaux – Foncia :
« Il fait très chaud, mais on s'en accommode. On ne va pas s'en plaindre, mais aujourd'hui, la température de l'eau est même plus élevée que celle de l'air ! Nous n'avons toujours pas beaucoup de vent : on s'approche de la bulle dont on devrait pouvoir s'extraire au fil de la journée au fur et à mesure que l'on va pouvoir gagner dans l'ouest. Nous avons un beau lièvre, 1876, à côté nous. C'est motivant, cela nous permet de bien batailler. Pour l'heure, un coup ça passe pour eux, un coup c'est pour nous. Les autres ? Je crois que personne ne sait très bien à quelle sauce il aura été mangé à la sortie de cette grande barrière anticyclonique. C'est la grande incertitude. Quoi qu'il en soit, la hiérarchie qui se dessinera en Sicile ne sera qu'un classement provisoire. Cette étape se dispute sur le mode d'un grand chassé-croisé et il promet de se poursuivre jusqu'à Nice. La fête continue ! »
Damian Foxall –Paprec Virbac 2 :
« Nous sommes toujours sur une route très différente de celles empruntée par les autres bateaux, c'est la plus proche des côtes africaines. Nous sommes partis sur cette option sud dans l'objectif de toucher des vents plus soutenus le plus tôt possible. Nous avons sans doute payé assez cher en termes de milles supplémentaires parcourus. Mais, depuis quelques heures, le vent rentre un peu et nous avons des meilleures conditions. Si nous sommes chanceux, nous allons donc toucher plus de pression avant les autres. On verra bien... Quoi qu'il en soit si le passage de la Sicile regroupera la flotte dans un petit entonnoir, il y aura encore jusqu'à Nice beaucoup d'options à tenter encore et beaucoup de coups à jouer : cette étape est loin d'être terminée. Quoi qu'il en soit, même en Méditerranée, c'est le meilleur qui gagne... Réponse à l'arrivée. »
Roland Jourdain – Veolia Environnement
« Même si nous avons réduit l'écart à 50 milles ces dernières heures, nous avons le même marais barométrique, une grande barrière qui s'étale de la Sicile à la Libye, à traverser que les autres. Nous devons subir et faire avec les mêmes petits airs et je ne crois pas que nous soyons encore sortis d'affaire. D'autant que nous accusons encore le coup de notre progression assez calamiteuse depuis deux jours. Après la dernière nuit assez paisible, nous revoilà donc repartis à la chasse à la risée. Il n'y a pas grand chose d'autre à faire, mais pas question pour autant de baisser les bras : nous avons bien l'intention de nous en sortir coûte que coûte... On peut encore mettre deux jours pour rejoindre la pointe de la Sicile et toucher de l'air. DCNS est un peu revenu sur nous, on le voit à la jumelle. Peut-être qu'il a eu un peu moins de malchance que nous. Depuis le départ, on constate que les bateaux sont somme toute assez proches en termes de vitesse. Pour faire la différence, il faut donc faire le moins d'erreurs. J'en ai déjà fait une belle au passage du Péloponnèse et l'objectif principal du bord est bien d'essayer d'en effacer l'ardoise... »