Étaient-ils en Asie ou en Europe, au moment du départ et du coup de pistolet donné par le Premier Ministre turc en personne, les trente marins de la première Istanbul Europa Race ? À tout le moins, ils avaient le cœur serré par l'histoire, jetant un œil entre deux manœuvres vers la Mosquée Bleue, L'Église Sainte-Sophie, le château de Topkapi...
À l'idée de rallier Brest, par delà tant de mers, qu'elles fussent de Marmara, Égée, tyrrhénienne..., jusqu'à la Manche, en sautant de la capricieuse Méditerranée à l'Atlantique déchaîné, ils se sentaient dans la peau de pionniers empruntant une route inédite de la course au large. Ils ont frôlé des îles paradisiaques, pactisé avec les Siciliens et les Corses, fumé le calumet de la paix aux Baléares, longé l'extrême nord de l'Afrique, tutoyé des mamies portugaises qui prenaient tranquillement leur café pendant qu'ils tiraient des bords, et ils ont même fait demi-tour à la vue de l'Angleterre.
Pour la première fois de sa vie, Guillermo Altadill est entré dans la baie des Anges. Mais quelle tête de pirate il avait en sortant de la nuit noire, premier à Nice après avoir détroussé les Français ! Hirsute, barbu, épuisé, le conquistador a donné une leçon de fair-play et de savoir-vivre en attendant sur le quai, un à un, ses concurrents défaits. Chez lui, à Barcelone, où il aurait tant aimé conserver l'habit de lumière du torero triomphant, il a présenté à son peuple le vainqueur de la deuxième étape comme un « Catalan du nord », et de fait, Kito De Pavant, l'apache qui rit, avec son air d'indien et son bateau baptisé Cochise, méritait le plus bel hommage. Sans lui, sans sa faconde, sans son engagement militant, sans sa propension à draguer dans son sillage une armada de marins, cette course n'aurait peut-être jamais eu lieu et les bateaux rescapés d'un Vendée Globe dévastateur en auraient été quitte pour faire des ronds dans l'eau en cette fin d'été, douce, trop douce peut-être, au goût des navigateurs qui carburent à la force du vent...
C'était une course « pour l'humanité », selon la présentation établie d'entrée par son organisateur franco-turc, Cumali Varer. Inscrite dans la classe IMOCA, très française de tradition, elle a impliqué des marins espagnols, comme si c'était le point de départ d'un bouleversement géopolitique du monde de la voile, et puis un Irlandais (Damian Foxall), un Américain (Ryan Breymaier), un Hollandais de Norvège (Wouter Verbraak)... Sur les bateaux, on a parlé anglais, français, espagnol... et très peu le breton. La Grande Bleue a été le théâtre d'une forte amitié entre les peuples.
Chemin faisant, la flotte a rencontré quelques profiteurs, et à la fin, des pisse-vinaigre qui auraient souhaité que l'Istanbul Europa Race, pourtant très suivie sur internet, chantée sans réserve par la presse turque, adorée par des milliers d'aficionados catalans, magnifiée par les chaînes de télévision françaises, soit meilleure, ou différente, ou carrément inexistante. On trouve toujours en ce monde des contestataires invétérés, souffleurs de vents contraires. Pourtant, partout, au-delà de la poésie des lieux, c'était sauvage et beau.
Il y a 945 jours
Mar 22 Sept : A Brest même « en rade » de vent !
Un pas en avant, deux pas en arrière. Le dénouement de l'ultime et dernière étape de l'Istanbul Europa Race n'aura pas été sans heurts ni peine pour les poursuivants de Michel Desjoyeaux, grand vainqueur, à bord Foncia, dans le cœur de la nuit brestoise. Pour les autres, la remontée du goulet de Brest a pris des allures de chemins de croix jusqu'en début d'après-midi dans des vents qui ont déserté la place, arrêtant net la progression des bateaux dans les forts courants contraires. A force de patience et d'obstination, Veolia Environnement (Roland Jourdain), Paprec-Virbac 2 (Jean-Pierre Dick) et Groupe Bel (Kito de Pavant) en ont donc tour à tour terminé dans les eaux bretonnes – clin d'oeil de ce grand tour de l'Europe oblige - dans des conditions dignes de la Méditerranée ! Retour sur une journée d'arrivées au ralenti donnant toute la mesure des difficultés de cette épreuve d'envergure qui rassemble indéniablement tous les ingrédients pour s'inscrire au rang des rendez-vous majeurs de la course au large…
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