Jacques Vapillon ®
L'Istanbul Europa Race a beau toucher à sa fin, le doute persiste sur le dénouement de cette ultime et dernière étape partie lundi dernier de Barcelone. A 280 milles de la ligne d'arrivée, les équipages de Michel Desjoyeaux et de Roland Jourdain ont indéniablement fait le trou, prenant depuis le passage du cap Finisterre la poudre d'escampette. Pourtant, aujourd'hui, leur leadership vacille et montre des signes de fragilité dans un contexte météorologique aussi complexe qu'imprévisible.
Deux duels en tête
A la lutte pour la place d'honneur, puisque 10 milles à peine séparent Foncia de son coriace poursuivant, les dix hommes de tête connaissent à présent des heures difficiles au passage d'une zone de transition dans des vents mollissant. En manque de pression, ils ont déjà ralenti la cadence et voient leur duo de chasseurs revenir en force dans leurs sillages, après avoir emprunté des chemins détournés à l'ouest pour attraper des vents plus soutenus dans leurs voiles. Des 85 milles d'avance capitalisés hier, il n'en reste plus que 50. Indéniablement la flotte se regroupe sur un traditionnel air d'accordéon. Si Foncia, comme Veolia Environnement, semble encore pouvoir contenir le retour des duettistes de l'ouest avant le passage de la porte, qu'en sera-t-il demain dans les eaux troubles de la Manche, dans des conditions de petit temps et les forts courants ?
Du côté de la garde arrière...
En arrière, dans un tout autre système météo, 1876 (Guillermo Altadill), dont on ne peut malheureusement pas, faute d'informations, mesurer l'importance de l'avarie de gréement, progresse difficilement vers le cap Finisterre. Au large des côtes réputées pour servir trop ou pas assez de vent, les Espagnols sont vraisemblablement tombés dans un trou d'air comme le suggère la petite vitesse de moins de 3 nœuds affichée au compteur. De son côté, DCNS (Marc Thiercelin) poursuit sa course, seul, en arrière de la flotte. Pour autant, l'équipage qui n'a de cesse de mettre du cœur à l'ouvrage face à l'adversité de la météo qui l'accompagne, reprend cette fois un peu de couleurs sous le grand soleil du Portugal. Pour preuve : la vitesse à deux chiffres enregistrée dans le dernier classement ! Pour ne pas prendre le risque de s'arrêter dans son élan et en vue de déjouer les prévisions qui lui promettent de nouveau des vents faibles et contraires, le dernier né de la flotte Imoca, en pleine phase d'optimisation, cherche désormais son salut sur une route plus au large. Une jolie manière de poursuivre son grand parcours côtier à l'échelle de l'Europe et de ne surtout pas baisser les armes...
Ils ont dit :
Roland Jourdain – Veolia Environnement :
« On en apprend tous les jours, même tout près de chez soi. On savait que la météo ne serait pas simple cette nuit et cela s'est bien avéré. Les fichiers ne sont d'ailleurs pas d'accord sur le temps entre eux ! Ce matin le vent a tourné, mais pas dans le sens prévu. Nous sommes concentrés sur les réglages et la tactique, c'est un peu tendu. Les autres vont continuer de revenir dans la journée. En fait, on attend leur vent. De notre côté, plus on se rapproche de Foncia, plus on est content. Il fait gris, on a une petite bruine et de très jolis nuages noirs qui génèrent des drôles de petits phénomènes météo. La mer est lisse, mais sans doute à cause des forts coefficients de marée, il y a la surface des gros tourbillons de courants. On retrouve aussi les gros paquets d'algues bien de chez nous. Hier nous avons été suivis par une bande de dauphins, ils étaient fous ! Après avoir souffert de la chaleur et de la pétole, cela fait du bien de retrouver des conditions dans lesquelles le bateau retrouve ses qualités. C'est vrai aussi que cela fait plaisir, parce qu'à bord on n'est pas non plus trop habitué à ramasser les bouées. La traversée de la Manche ne sera pas forcément très simple, mais cela va dépendre du timing du passage de l'axe de la dorsale, des renverses. Nous allons longer les côtes avec de forts coefficients. Affaire à suivre... »
Kito de Pavant – Groupe Bel :
« Les conditions qu'on a sont très différentes de celles que prévoyaient les modèles. Nous avons eu du vent plus soutenu que prévu, et on a pu revenir un peu : c'est pas mal ! Nous avons passé 24 heures plutôt paisibles sur un seul bord. Devant, ils doivent rencontrer des vents plus faibles. Hier après la vacation, Paprec-Virbac 2 nous avait doublé. Ca m'a énervé : on s'y est mis et on lui a collé dix milles ! On marche actuellement à 10 nœuds sous un ris trinquette sur la route directe vers la porte de Brest. A bord, on s'habitue à naviguer sans instruments, dans le noir complet surtout la nuit. On navigue aux sensations, et on s'améliore. On a du vent de nord assez variable sous les nuages. On aura un petit coup de mou, mais j'espère qu'on sera à la porte en début de nuit. Hier, j'ai fait marcher des routages, ils donnaient une heure d'écart entre nous et Foncia. Maintenant, les conditions ont beaucoup évolué, donc on verra bien... »
Jean-Pierre Dick – Paprec-Virbac 2 :
« On revient avec un peu plus de vent du large et même si les deux bateaux de tête ont une belle avance, on a pu revenir sensiblement. On ne sait pas trop ce qui va se passer : la course n'est pas finie, on doit traverser une dorsale et la Manche avec de forts courants. Je suis un peu déçu des résultats de notre option, mais entre ce que disaient le modèles météo hier et les conditions qu'ont a rencontré cette nuit, il y a eu une grande différence. En fait, le vent est bien rentré de partout et Groupe Bel n'a pas été autant freiné que ce qu'on aurait pu croire. Du coup, à bord de Paprec-Virbac 2, on a parcouru un peu plus de chemin que prévu pour rien et Kito de Pavant a pu nous distancer. Actuellement, nous avons du vent, même si nous sommes sous un gros nuage noir qui génère beaucoup d'instabilité. Il nous reste 120 milles pour arriver à la porte de Bretagne, nous y seront dans dix ou douze heures. »
Michel Desjoyeaux – Foncia :
« Cette nuit, nous avons été bien propulsés, c'est plutôt bien. Nous traversons actuellement une petite zone de transition, mais nous sommes bientôt sortis d'affaire même si les heures qui viennent s'annoncent compliquées. Nous sommes bien placés entre la marque (la porte de Brest) et nos concurrents directs : c'est ce qu'on a de mieux à faire. C'est vrai qu'avec Bilou, on reproduit certaines habitudes, on se bagarre. La Manche ne devrait pas poser trop de problèmes, même si cela ne sera pas trop venté : l'anticyclone sera centré sur le golfe de Gascogne. Nous gardons le même rythme depuis plusieurs jours. Il faut être patient et faire avec les conditions qu'on a et qu'on aura. Nos camarades de l'ouest reviennent un peu, c'est le contre coup de l'accordéon qu'on a fait, et c'est somme toute assez logique. Nous serons contents de mettre le pied à terre, même si au cours de cette course nous avons fait de belles navigations, vécu plein de choses et surtout disputé une belle régate. »
Marc Thiercelin – DCNS :
« On a du vent ce matin, un grand soleil, une belle lumière d'Atlantique avec quelques cumulus au large. On avance à 10 nœuds. Sur le golfe de Gascogne, on devra traverser une dorsale qui semble moins active que prévu... On verra bien, même si on accuse déjà un retard conséquent. Entre le convoyage et la course de la Turquie à la Bretagne, en passant par la Grèce, l'Espagne, et maintenant le Portugal avant l'Angleterre, nous aurons fait un long parcours et beaucoup de milles. Je salue les équipes de DCNS et je souhaite les rassurer, qu'ils ne s'inquiètent pas trop pour le bateau. DCNS est né juste avant le Vendée Globe et l'objectif de cette première saison 2009, cela reste la Transat Jacques Vabre. Après Brest, on ralliera donc Caen pour travailler dans un chantier spécialiste des 60 pieds : on va changer des choses pour tirer profit des très nombreux enseignements de cette épreuve. »