Jacques Vapillon ®
Après la lente et chaude progression au portant sur les deux premières étapes, le près et les conditions de navigations tendance « Atlantique » sont donc venues cueillir la flotte la nuit dernière. Cette journée de mercredi est à marquer d'un pierre blanche à bord de la plupart des monocoques Imoca tant les équipages devaient avoir un temps oublié les joies... et contraintes de la navigation en mode humide et penché !
Aux abords du célèbre détroit de Gibraltar et en pleine mer d'Alboran, la sortie s'organise et ce sont Michel Desjoyeaux et ses comparses qui semblent les mieux positionnés pour jouer les portiers. En pointe par rapport à ses poursuivants directs, le double vainqueur du Vendée Globe domine une fois encore son sujet et confirme son grand plaisir à disputer cette première édition de l'Istanbul Europa Race. Premier de cordée, le skipper de Foncia a choisi la proximité des côtes marocaines comme planche de salut, allant y exploiter des conditions plus favorables et un bord rapprochant. Imité par ses concurrents, le Professeur pouvait ce midi afficher une belle foi en son inspiration.
La course poursuite s'organise
Derrière, on s'organise et on tente d'endiguer l'hémorragie du moment. Avec des fortunes diverses depuis le départ de Barcelone, le reste de la flotte tente ainsi également de soigner sa sortie méditerranéenne.
Pour certains le bras de fer est engagé ; Groupe Bel et Veolia Environnement confiant naviguer à vue ce matin. Handicapés par des soucis d'électronique depuis leur rencontre avec un orage peu de temps après le départ, les hommes de Kito de Pavant tiennent toutefois leur rang de candidats à la victoire finale. Du côté de Roland Jourdain, l'ambiance est au saut-de-mouton et au retour en grâce après une parenthèse en fin de classement hier. Pointés à moins de 15 milles du premier, ces deux équipages tiennent en respect leur assaillants, Paprec-Virbac 2 et 1876.
Enfin, les hommes de DCNS sont toujours lanterne rouge et peinent dans les petits airs quand devant on retrouve la vitesse, aussi inconfortable soit-elle. Philosophe, Marc Thiercelin avait ce midi un regard déjà tourné vers l'avenir et des jours meilleurs.
Laisser les souvenirs derrière et s'en forger de nouveaux
Dans quelques heures, les premiers concurrents salueront une dernière fois la Mer Méditerranée qui aura été le théâtre de leur formidable bataille depuis le départ d'Istanbul, le 29 août dernier. Ils laisseront derrière eux de grands souvenirs de navigation sur le Bosphore puis dans les Dardanelles et les îles grecques. Ils garderont longtemps en tête l'absence de vent et la chaleur. La partie qui s'ouvre aujourd'hui devant leurs étraves s'annonce toutefois au moins aussi chargée et riche en émotions.
Le passage du détroit de Gibraltar, dernière porte avant l'Atlantique leur réserve ainsi un accueil haut en couleur et fidèle à sa réputation, combinant vents et courants contraires. Une fois ce passage négocié, la partie ne sera pas gagnée pour autant, tant les conditions météo s'annoncent compliquées, au moins jusqu'au cap Saint-Vincent. Il reste encore un peu moins de mille milles à parcourir avant la fameuse porte bretonne. D'ici là, la direction de course aura fait savoir dans quelle mesure elle prolongera ou non le Tour de l'Europe, offrant à la flotte un détour vers le Fastnet ou Wolf Rock. On est encore loin de l'issue Atlantique, pour le plus grand plaisir des spectateurs et des acteurs pour lesquels tous les espoirs sont permis !
Ils ont dit :
Michel Desjoyeaux - Foncia :
« Le ciel commence à ressembler à celui qu'on connaît en Atlantique. Nous avons bien tiré notre épingle du jeu cette nuit, il y avait une petite zone de transition et tout s'est bien enchaîné, nous n'avons pas fait de manœuvres inutiles. Nous avons eu jusqu'à 28-30 nœuds et pas mal de cargos, mais les conditions se stabilisent. Nous sommes désormais au près : nos petits camarades sont bien alignés derrière nous, et Foncia est placé bien en pointe ! Cette situation est assez confortable, d'autant plus qu'il n'y a pas beaucoup d'ouverture sur le plan tactique. En mer d'Alboran, nous allons privilégier le bord africain qui d'après tous les fichiers est le plus rapprochant. Nous devrions rejoindre Gibraltar en fin d'après-midi. »
Jean-Luc Nélias – Veolia Environnement :
« On vient de passer l'île d'Arboran. Nous sommes au près dans la brise sous le soleil dans 20-26 nœuds de vent : on fait du saut-de-mouton ! La première nuit, nous avons bien géré, avec une bonne trajectoire et les bons choix de voiles. Et puis hier en début d'après-midi, nous sommes passés de premier à dernier. Nous avons ensuite réussi à recoller, jusqu'à ce qu'on ait re-tricoter dans une zone de transition à la pointe sud-est de l'Espagne quand le vent de nord-est est passé à l'ouest : Foncia s'est échappé le premier. Nous sommes au contact avec Groupe Bel, et on se dirige vers les côtes marocaines. Notre ETA pour Gibraltar est 20h TU (2h HF). Ensuite, jusqu'au cap Saint Vincent, nous serons face au vent et contre le courant dans du petit temps. Ca va se compliquer un peu... »
Kito de Pavant – Groupe Bel :
« Nous sommes au près dans 20-25 nœuds de vent sur une mer un peu forte. Le vent risque de tomber un peu et la mer s'améliorer plus on s'approchera de Gibraltar. Le ciel est bleu et c'est plutôt sympa d'avoir du vent clair, de se reposer un peu, et surtout de ne plus avoir à manœuvrer dans tous les sens. Foncia s'est barré devant dans la nuit et ce matin, nous étions surpris de le voir 9 milles devant. C'est cher payée la petite pétole d'Almeria. On se bagarre, et dans la pétole et les orages, il peut toujours se passer tout et n'importe quoi. Nous soucis d'électronique sont toujours d'actualité. Heureusement, nous avons toujours le GPS et l'informatique et surtout nous connaissons bien le bateau : dans des conditions stables, ça va. »
Jean-Pierre Dick – Paprec Virbac 2 :
« Les conditions sont plus stables, mais ce n'est pas super agréable. Ça bouge, ça tape, mais il faut bien s'y faire : nous sommes au près et si l'on en croit les fichiers météo, cela pourrait durer jusqu'au nord de l'Espagne. Il faut que nous recollions le paquet de tête : c'était un peu déprimant de lire les positions ce matin, et de voir que nous avons autant perdu en restant tankés cette nuit dans une molle au large des côtes. Mais la Méditerranée reste une mer de contrastes et puis il peut encore se passer plein de choses même après, notamment au cap Saint Vincent ou au nord de l'Espagne. »
Marc Thiercelin - DCNS :
« Nous sommes tombés dans la pétole hier soir et depuis le vent n'est jamais revenu : on s'est fait complètement décrocher. Là, nous venons de faire une pointe à la très grosse vitesse de 2 nœuds ! Dès que le vent mollit, le bateau ne fonctionne pas bien et on souffre beaucoup. Mais nous ne sommes pas fatalistes et nous restons en mode compétition : on change les voiles, on empanne tout le temps pour suivre les oscillations des filets d'air. Il ne faut pas perdre de vue que l'Istanbul Europa Race est un format de course pour lequel DCNS n'est pas forcément optimisé, ni adapté et j'espère que nous aurons plus de vent sur la Transat Jacques Vabre pour montrer son potentiel... »